11 oct. 2012

Pourquoi percevons-nous différemment les bières devenues "classiques"?

Comme ça, la St-Ambroise Noire ne serait plus ce qu’elle était. La Trois-Pistoles ne serait plus l’ombre d’elle-même. Ces grands classiques d’hier et d’aujourd’hui, comme plusieurs de leurs honorables confrères pionniers font moins parler qu’il y a quelques années. À en croire certains amateurs, ces produits sont toujours agréables, mais beaucoup moins qu’autrefois. Pire, selon certains, la faute incomberait aux brasseurs. Les théories sont multiples : l’attention accrue aux coûts de production lorsqu’une microbrasserie croît, les changements d’équipement de brassage, la tendance subtile et sournoise des brasseurs de rendre leurs produits plus doux afin de plaire au plus grand nombre… Tout a été évoqué.

Certains amateurs choisissent plutôt de faire porter le blâme à leurs propres papilles. Simplement, leurs goûts ont évolué avec le temps. Nous allons dans le même sens, mais encore plus loin. En effet, de prime abord, il est presque inimaginable qu’une St-Ambroise Noire ou une Trois-Pistoles goûte exactement la même chose qu’il y a dix ou quinze ans. En effet, même si nous ignorons si les ingrédients sont restés les mêmes, il est indéniable qu’une entreprise en croissance ait vu ses équipements évoluer. Que dire des brasseurs eux-mêmes. Combien d’employés se sont succédés dans les salles de production de McAuslan et d’Unibroue au fil de la dernière décennie. Vous pouvez bien donner une même recette à deux grands cuisiniers maîtrisant parfaitement les techniques de leur métier, les deux plats qu’ils produiront ne seront pas identiques. Nous ne parlons pas ici de produits scientifiquement industrialisés tel un Big Mac, nous parlons de bière artisanale. Donc oublions d’emblée la parfaite stabilité temporelle de nos références de jadis. Et surtout, oublions encore plus rapidement la parfaite stabilité temporelle de nos références d’aujourd’hui. Si les McAuslan et Unibroue ne peuvent pas goûter exactement ce qu’elle goûtaient hier, imaginez alors les Trou du Diable et autres Charlevoix que vous admirez aujourd’hui.

La gamme d'Unibroue rafle toujours de multiples honneurs dans des concours partout sur la planète...

Lorsque la pénurie de houblon s’est pointée le nez, pensez-vous que toutes les brasseries ont maintenu intactes les recettes de leur gamme de bière? Si elles ont préféré le résultat obtenu en tentant de réaligner le tir, pensez-vous qu’elles sont retournées en arrière? Bien sûr que non. Nombre de brasseries artisanales sont constamment à tenter d’améliorer leurs recettes. Certaines changent les noms de brassins en brassins, d’autres, non. Plusieurs de ces bières sont vos favorites, celles que vous considérez désormais comme ayant pris la place des Trois-Pistoles et St-Ambroise Noire. 

Sur une tangente différente, rappelez-vous votre univers de la bière il y a dix ans. Montréal avait certes Dieu du Ciel (avec beaucoup moins de fûts…) et l’Amère à Boire, mais ni Succursale, ni St-Bock, ni Vices et Versa, ni Brouhaha, ni Benelux… L’offre était très bonne il y a dix ans, ne vous y méprenez pas, mais elle n’était pas la moitié de ce qu’elle est devenue aujourd’hui, et probablement nettement inférieure à ce qu’elle deviendra demain. Comme Coureurs des Boires, nous avons pu constater cette heureuse réalité à répétition depuis quelques années. Lorsque La Route des Grands Crus de la Bière a été publiée, il y a environ deux ans aujourd’hui, nous avions sélectionné une centaine de grands crus québécois et de Nouvelle-Angleterre en nous basant sur certains critères de qualité tant personnels et subjectifs que longuement discutés et pris au sérieux. Aujourd’hui, seulement deux ans plus tard rappelons-le, en maintenant les mêmes seuils de qualité, nous pourrions trouver une cinquantaine de nouveaux grands crus sur le même territoire. En parallèle, rares sont les grands crus du livre que nous voudrions retirer dans une réédition. L’offre microbrassicole est un environnement qui évolue et c’est un véritable ouragan qui emporte tous les dégustateurs dans son sillon. Nos références ne peuvent qu’évoluer en tentant de s’adapter. L’offre de produits de qualité se renouvelle constamment.

Lorsqu'on fait connaissance avec la Framboyante des Brasseurs du Temps, c'est certain que l'on perçoit soudainement la bière à la framboise de McAuslan différemment

Où voulons-nous en venir? Eh bien, se pourrait-il que cette Trois-Pistoles et cette St-Ambroise Noire, qui étaient naguère solidement ancrées dans nos top 10 des bières québécoises, n’aient pas évoluées tant que ça? Plutôt, si une ou deux centaine(s) de bières étaient autrefois en concurrence pour une place dans nos top 10, elles sont maintenant beaucoup plus d’un millier. En d’autres mots, toutes proportions étant conservées, les top 10 d’il y a dix ans équivalent peut-être bien aux top 100 contemporain. Conséquemment, dans quatre ou cinq ans, lorsque de nouvelles brasseries auront continué de renouveler l’offre de produits de qualité, peut-être constaterez-vous avec nostalgie que la Trois-Pistoles et la St-Ambroise figurent toujours à votre top 200. Il sera alors grand temps de renouveler avec ces flammes et de les remercier pour leur fidélité, car si vos goûts ont peut-être évolué, elles-mêmes se sont montrées d’une impressionnante constance et fiabilité considérant l'effervescence certaine du monde qui les entoure. 

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