15 janv. 2012

L’histoire miraculeuse de deux bières à 3% d’alcool qui ont tenu la route pendant… 30 ans !


Pourtant les capsules, elles, semblaient avoir souffert...


Aussi farfelu qu’il puisse paraître, le titre de ce billet n’a rien de si surprenant lorsqu’on connaît le type de bière en question : la Berliner Weisse. Ce "champagne du Nord", tel que l’avait surnommé Napoléon lors de son passage à Berlin, est en effet habité par des bactéries acidifiantes, de type lactobacillus delbruckii ou lactobacillus Brevis. En français, vous dites ? Voici : ce sont des bières qui contiendront de l’acide lactique; semblable à ce qui se passe pour certains yogourts et pour la choucroute. Ceux qui connaissent les lambics belges peuvent imaginer le résultat en bouche (quoique l’acidité des Berliner Weisse est généralement plus douce que celle d’un Lambic traditionnel).



Des bactéries telles les lactobacillus étant inhibées par la présence d'alcool, il est normal que ce type de bière soit très peu alcoolisé; entre 2,5% et 3% d’alcool, habituellement. De cette façon, l’acidité se présente sans gêne dans le profil de saveurs ; c’est ce que les brasseurs de Berliner Weisse veulent. Une telle acidité peut être très rafraîchissante !




Les deux vedettes du moment



Traditionnellement, certains brasseurs réussissaient à obtenir une fermentation à l’acide lactique en ne bouillant pas leurs grains. Les grains contiennent déjà les bactéries acidifiantes pour fermenter leurs propres sucres, si le brasseur a la patience, et le courage, de laisser le tout évoluer sans y toucher. C’est que ça sent mauvais un moût de céréales qui s’acidifie par lui-même... Demandez aux brasseurs de Dieu du Ciel!, qui brassent quelques bières sures à partir de cette technique d’empâtage. Ils nous en présenteront d’ailleurs une toute nouvelle à L’Hivernale des Brasseurs de Montréal à la fin février.



Aujourd’hui, il ne reste qu’une seule brasserie à Berlin produisant ce style moribond : Berliner Kindl. En achetant une multitude de petites brasseries productrices du style, ils ont protégé leur marque… et presque tué ce type de bière du même coup.



Les quelques brasseries hors-Berlin qui concoctent un exemple de ce style aujourd’hui peuvent tout simplement, si elles le désirent, rajouter de l’acide lactique afin d’acidifier le tout. Certaines utilisent même des levures sauvages comme les brettanomyces, quoique leur utilisation ne semble pas être traditionnelle. Difficile donc de trouver une Berliner Weisse dans les règles de l’art.



Quant aux bouteilles dégustées après plus de 30 ans de sommeil forcé? Très peu d’information existe de nos jours sur les entrepreneurs Landré et Groter Jan qui ont fait brasser ces Berliner Weisse chez Schultheiss dans les années ’70. Les nombreuses brasseries productrices de Berliner Weisses ayant été consolidées par Schultheiss, puis par Berliner Kindl, il est difficile de trouver de la documentation sur l’origine de ces deux brasseurs. Grâce au travail de Ron Pattinson, nous savons que Groter Jan a commencé à brasser une Berliner Weisse en 1932. On sait aussi que Landré a eu beaucoup de succès dans les bars de Berlin se spécialisant dans les bières de blé.




Et puis, qu'est-ce qu'elles goûtaient ces bières légères de 30 ans ? Étaient-elles buvables ? Bien... Pour ce qui est de la Landré, l’effervescence habituellement intense des Berliner Weisses (près de celle du champagne!) n’était pas au rendez-vous; ce qui n’est pas surprenant après tout ce temps. Ces bières n’ont pas été embouteillées afin d’être vieillies, après tout. Ses saveurs fruitées et son corps plat rappelaient une eau très citronnée. Un léger souffle d'oxydation rendait la bière moins rafraîchissante qu'elle ne l'était sûrement quelques mois après sa sortie. Mais les lactobacillus avaient effectivement fait leur travail.



La Groter Jan, de son côté, était remarquablement bien préservée. Gazéification presque intense, saveurs citronnées et acidulées définies surplombant un soupçon d'oxydation; un très bel exemple du style, à peine fatigué par sa trentaine d'années.




La Groter Jan, exhibant une belle tuile de mousse malgré ses 30 ans!




Comment est-ce possible qu’une bière légère d’une trentaine d’années puisse survivre en bonne condition si longtemps ? Peu d’études ont été faites sur le sujet dans le monde de la bière. Cependant, il a été prouvé depuis longtemps en alimentation que la présence d’acide lactique est responsable d’une amélioration de la stabilité microbiologique d’un produit. C’est ce qui se passe pour la choucroute, par exemple. Il semblerait qu'un effet semblable se soit produit dans le cas de ces Berliner Weisses.




Et qu'est-ce qu'un Québécois peut faire pour déguster une Berliner Weisse sans se payer un vol direct pour Berlin? Eh bien... Dieu du Ciel! à Montréal en fait plusieurs versions plus fortes en alcool et additionnées de vrais fruits, sous le nom de Solstice d'Été. Des interprétations créatives et délicieuses, plus corpulentes et plus intenses en bouche, et munies d'une gazéification moins débridée que le veut la coutume berlinoise. La version sans fruits, plus rare, se nomme Été Indien. Sinon, Hopfenstark, à L'Assomption, brasse à l'occasion la Berliner Alexanderplatz. Plus près des Berliner Weisses traditionnelles, elle titre 3,2%-3,5% d'alcool et est très rafraîchissante. Elle aussi est moins gazéifiée que les versions authentiques. Finalement, ceux qui ont commandé une Berliner Weisse lors de la commande allemande d’Importations Privées Bièropholie de l'automne dernier pourront aussi écrire leur propre histoire, d’apparence, miraculeuse. Suffit de patienter, oh... quelques décennies?

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