31 déc. 2012

Les bières de 8 Wired et Anchor disponibles en importation privée

Le temps des Fêtes n’est pas encore passé, alors il doit bien vous rester un peu de monnaie? Voici quelques suggestions pour utiliser vos derniers deniers.

8 WIRED

Une première brasserie de Nouvelle-Zélande dans le portfolio d’Importations Privées Bièropholie? Il était temps, car ce pays comptant à peine la moitié de la population du Québec renferme pourtant une soixantaine de microbrasseries. 8 Wired est à l’avant-garde de cette brigade dont la réputation se base entre autres sur la culture de variétés de houblon extrêmement prisées (et bien protégées), les chercheurs néo-zélandais faisant l’envie du reste du monde à cet égard. Prise entre les cônes de houblon exotique et la principale région viticole de Nouvelle-Zélande, 8 Wired se targue d’une histoire à tout le moins impressionnante. Un brasseur danois voyageur dans l’âme, produisant des bières d’inspiration principalement américaine sans avoir sa propre brasserie et utilisant au maximum les ingrédients locaux. Vous l’aurez deviné, voici une microbrasserie résolument ouverte sur le monde.

Big Smoke Big Smoke est le porter fumé de la maison. Plutôt rond bien que relativement sec, il conjugue fumée et chocolat sans ménagement.

C4 Double Coffee Brown En Nouvelle-Zélande, le café est sacré au point où pour travailler au café du coin, il faille nécessairement suivre une formation de base de barista. Regorgeant du café d’un torréfacteur local, cette riche Brown Ale de 8% rend hommage à son ingrédient vedette.

Hop Wired La bière-phare de la maison ne contient que des ingrédients locaux. C’est l’idéal pour vous familiariser avec les arômes intensément fruités, exotiques et portés vers l’agrume de certains cultivars locaux.

iStout Amateurs d’Imperial Stouts américaines, voici votre nouvelle flamme : une pulpeuse et flamboyante noire nous offrant 10,5% de potentiel, toute en nuances chocolatées et à l’amertume on ne peut moins subtile.

Saison Sauvin Voici une bière expérimentale intéressante, qui n’est pas sans rappeler la Saison du Tracteur du Trou du Diable. Une base de Saison bien terreuse, mais dont le caractère de levure terreux se fait petit en comparaison aux houblons néo-zélandais. À l’instar de plusieurs Saison belges, elle semble varier d’une bouteille à une autre, peut-être une question de fraîcheur, les houblons étant tantôt explosivement tropicaux et tantôt verts et végétaux.

Tall Poppy Voici un bon choix pour élargir les horizons du beau-frère vous demandant une rousse. Il y retrouvera les notes de fruits rouges et caramélisées qu’il affectionne, sera légèrement surpris des 7% d’alcool et sera béat devant les émanations tropicales des séduisants houblons.



ANCHOR

Il y a maintenant plus de 2 000 brasseries actives au pays de l’Oncle Sam. Impossible de suivre ne serait-ce que les principaux développements de cette industrie tel que nous essayions de le faire il y a une dizaine d’années. Quand le monde évolue trop vite pour nous et que nous réalisons que c’est exactement ce que nous espérions à l’époque, le temps vient de prendre du recul et de revenir à nos bases, à nos classiques. Le retour de cette légendaire brasserie américaine sera ainsi toujours perçu d’un bon œil!

Steam Beer : Cette California Common, style hybride que l’on peut résumer comme une lager blonde fermentée à haute température et donc plus fruitée, s’avère rafraîchissante et très souple au palais. Une bière agréablement maltée, presque caramélisée qui s’assèche progressivement alors que ses houblons lui procurent un baiser d’au revoir feuillu.


Liberty Ale : Grand classique, cette Pale Ale légendaire fut l’une des premières ambassadrices du houblon Cascade, étant une véritable démonstration de l’influence enchanteresse de ce cultivar dégageant de puissants arômes de pamplemousse et de fleurs. Les malts s’avèrent d’une rare efficacité en fonction de support, ne tâchant jamais de s’enrober de la vedette avec une envolée sucrée. Sèche et amère en finale. La mère de toutes ces IPA que vous adorez.

Porter : Un agréable Porter, ample et généreux de ses malts qui s’illustrent tantôt par leurs notes fruitées rappelant les dates ou la réglisse et tantôt par ses angles rôtis aux impressions de chocolat noir. Agréablement digeste et équilibré.

Old Foghorn : Un des premiers Barley Wines en provenance des États-Unis, l’Old Foghorn s’amuse principalement sur le terrain du malt. Un pudding au caramel langoureux s’étale doucement sur une sirupeuse salade de fruits éclaboussée de jets d’alcool bien dosés. Sans être particulièrement complexe, voilà une légende du style qui remplit à merveille ses ambitions de digestif.

Summer : La populaire bière de blé estivale de la maison est légère et facile d’approche du haut de ses 4,5%. Rien pour réinventer la roue, mais indéniablement rafraîchissante et constante.

Brekle’s Brown : Si notre mémoire nous sert bien, c’est la première fois que nous aurons accès à la Brown Ale de la maison. C’est là un heureux événement, car cette dernière est bien méritoire, bâtie sur une charpente robuste de laquelle émane de riches effluves de fruits rouges, noisettes et caramel foncé. Profondeur intéressante pour une Brown Ale.


16 déc. 2012

Joyeuses Fêtes!

On ne vit qu'une seule fois. Mais on n'a qu'un seul foie. Dégustez avec modération dans le temps des Fêtes. Afin d'en profiter plus longtemps!



9 déc. 2012

La BSG 1er Anniversaire, de Brasseurs sans Gluten, à Montréal



Quelle révélation ces Brasseurs sans Gluten. Alors que la très grande majorité des bières sans gluten de la planète semblent conçues pour plaire aux amateurs de bières industrielles quasiment insipides, les bières BSG exhibent grâce, équilibre et saveurs franches, souvent à partir d'ingrédients les plus recherchés les uns que les autres. Qui a dit que cela prenait du malt d'orge ou du blé afin de créer de grandes bières?

Style : Qu'est-ce qu'on fait pour décrire une bière qui est construite de riz noir, de millet, de miel de sarrasin et d'autres ingrédients peu communs? On parle de saveurs et non de style. Après tout, c'est ce qui importe, n'est-ce pas? Pour simplifier les choses, nous avons ici une bière délicatement grillée, miellée et bien amère.

Disponibilité: Créée pour le 1er anniversaire de cette brasserie des plus surprenantes, on espère fort qu'elle ne soit pas un feu de paille sur la scène brassicole. On en veut d'autre!

Le coup d’œil : Une tuile de mousse adopte la robe cuivrée aux profonds reflets d'ambre, s'effaçant tranquillement vers les parois du verre.

Le parfum : Des céréales grillées et des houblons verts surmontent un sucré miellé poli. On peut facilement prévoir l'équilibre d'un profil de saveurs relevé.

En bouche : Soyeuse, à l'effervescence délicate, cette bière festive semble faire naître des saveurs de miel de noisette grâce à l'agencement de ses nombreuses composantes. Sise entre une bière agréable à prendre à grandes lampées et une bière à siroter en fin de soirée, on peine à lui trouver des moments où elle ne sera PAS de mise.

La finale : L'amertume verte, gazonnée, rappelant le matcha est habilement enduite de ce filet sucré miellé, un tout équilibré rattrapé par les notes grillées perçues dès l'arôme. L'arrière-goût houblonné est persistent, parfait pour plaire aux palais nord-américains friands de houblons.

Accords : Des tranches de boeuf en sauce teriyaki avec wasabi, ou même quelques arachides sucrées au miel.

Pourquoi est-ce un grand cru? : À part les connaissances requises afin d'obtenir un tel profil à l'aide d'autant d'ingrédients inusités, il faut admettre que la BSG 1er Anniversaire se démarque en offrant des saveurs aussi raffinées que énergiques. Le rendu final est impeccable, ainsi que la clarté avec laquelle chaque saveur s'exprime.

Si vous avez aimé, essayez aussi : La British, d'À La Fût (à St-Tite), la Noix de Marmotte

de Bedondaine et Bedons Ronds (à Chambly) et la George, de Hill Farmstead (Vermont).

3 déc. 2012

La Cuvée Charles, de la brasserie Albion, à Joliette


Difficile de trouver mieux que la Cuvée Charles du Albion afin de se 
réchauffer lors des froids écrasants de l'hiver

Style : Barley Wine à l'anglaise, mûri plus d'un un avant sa mise en service.  

Disponibilité: Ce vin d'orge a été créé pour la naissance du fils du maître-brasseur Steven Bussières. Quoique la période d'incubation soit similaire, nous espérons que Steven n'attende pas un nouveau bambin pour justifier un nouveau brassin. À moins, bien sûr, qu'il ait l'intention de reproduire son concept à chaque année...


Le coup d’œil : Un anneau de mousse couronne la robe ambrée voilée.

Le parfum : Des céréales tridimensionnelles laissent perler quelques gouttes de caramel sur un houblon feuillu. Le bouillon de six(!) heures en est pour beaucoup.

En bouche : Richesse et équilibre du début à la fin, rien de moins. Caramel, cerises et fraises confites agrémentées de houblons feuillus. Tout est si clair et si savoureux.

La finale : Une longueur caramélisée est accompagnée d'amertume de houblons feuillus.

Accords : Puisque la cuisine du Albion se limite à quelques snacks, nous préférons vous suggérer de marier votre verre de Cuvée Charles à un état de contemplation. Peu importe la teneur de votre semaine, remarquez à quel point les flaveurs ce vin d'orge peuvent vous réchauffer le coeur! 

Pourquoi est-ce un grand cru? : Le profil de saveurs est d'une clarté déconcertante. Tous les ingrédients s'expriment généreusement sans jamais se vautrer dans une mare de sucres résiduels, ce qui est souvent le cas dans l'univers des vins d'orge anglais.

Si vous avez aimé, essayez aussi : La Mea Magna Culpa, de Brasseurs du Temps (à Gatineau), la Gaz de Course, du Brouhaha (à Montréal) et la Blunderbuss Barleywine, de Cambridge Brewing (au Massachusetts).

Steven Bussières, papa des deux Charles
Photo: David Gingras

30 nov. 2012

La révolution brassicole espagnole atterrira au Québec


Il est rare qu'on puisse tomber sur autant de produits totalement 
inconnus du reste de la planète brassicole!

L'Espagne brassicole pourrait changer, pour le mieux, si les acteurs principaux de la révolution prennent les bouchées doubles. Imaginez le Québec brassicole d'il y a 12 ans: c'est ce qui se passe présentement là-bas, surtout en Catalogne. De petits brasseurs osent brasser des produits qui quittent la norme établie par les brasseries industrielles omniprésentes afin d'offrir des saveurs plus variées, voire même plus racées. Grâce à Importation Privée Bièropholie, nous aurons la chance en 2013 de témoigner de ces premiers balbutiements de la révolution brassicole espagnole. Une première hors-Europe pour tous ces brasseurs! 

Voici donc quelques commentaires sur les brasseries auxquelles nous aurons accès. Nous n'avons fait qu'un voyage là-bas récemment, mais espérons que ce soit assez pour vous éclairer quelque peu sur les produits offerts:

-La Cibeles, brasserie de Madrid, nous propose une IPA et un Barley Wine. Si elles sont aussi riches que leur Rauch et leur Triple IPA que nous avons bues, elles seront parfaites pour nous réchauffer lors des températures froides et humides de la fin de l'hiver.

-ArtCervesers, au nord-est de Barcelone, nous enverra de la Coure,  de la Flama et de la Fosca. Nous avons seulement dégusté la Coure, qui est très généreuse de ses épices de Noël et de son malt caramel. Une cousine espagnole des bières belges de Noël, disons.

-Domus, de Toledo, au sud de Madrid, nous présentera la Aurea, la Europa et la Summa. Deux IPAs et une Scotch Ale. Ces bières n'étaient pas disponibles à Barcelone lors de notre voyage, alors nous les découvrirons avec vous!


-Dougall's, sur la côte nord du pays, brasse surtout des styles britanniques de façon impeccable. La  Leyenda est une ESB biscuitée et délicatement caramélisée équilibrée par des houblons feuillus et épicés. La Tres Mares unit pêches, caramel et résines aux côtés d'amandes. La  942 quant à elle est une American Pale Ale houblonnée, entre autres, au cultivar Simcoe.

-Fort Cerveza Artesanal est basée à Barcelone même. Ils nous proposent Oatmeal Porter et IPA. Elles seront nouvelles pour nous aussi.

-Autre nouvelle pour nous, les bières de L'Anjub. La Juliette, une Stout, et la 1902, une Pale Ale.

-Les Clandestines est une toute petite brasserie (une autre!) au nord de Tarragona. Ils font une panoplie de bières digestes, non filtrées et non pasteurisées, embouteillées dans de belles 750ml.

-Marina est un autre de ces brasseurs qui loue l'équipement d'une brasserie plus grande afin d'y concocter ses produits. Nous aurons accès à la Mas Cremat, la IPA et la Pale Ale.

-La dernière mais non la moindre, Zulogaarden,  a déjà présenté ses talents aux Québécois. C'est Angel, son maître-brasseur, qui a brassé la Catapulte avec la gang du Benelux récemment. Nous aurons donc plusieurs bières bien houblonnées de sa part, dont deux versions de la Arruganukas (une uniquement houblonnée de cultivars néozélandais), la Norai, la Sang de Gossa, la Vibria et la Viernes 13, possiblement la bière la plus intense de cette commande toute espagnole.


 Angel, de Zulogaarden

Si vous désirez aller déguster ces produits sur place, à Barcelone, ville que la révolution brassicole espagnole semble avoir adopté, lisez notre article sur ce sujet dans le dernier numéro du Bières et Plaisirs.

Schlafly et Jester King en importation privée


Importations Privées Bièropholie a finalement pu mettre la main sur des brasseries américaines! Après une bonne centaine de refus (sans exagération), voici que deux brasseries, de grande qualité par surcroît, nous ont tendu la main. Question de vous aider dans vos achats, voici une présentation des deux brasseries à l'honneur:


JESTER KING

Le Petit PrinceC’est de l’éclatée Austin, aux antipodes de son Texas natal, qu’a surgi Jester King il y a environ deux ans. La montée de la réputation de cette micro a été fulgurante bien qu’elle n’ait pas abusé sur le nombre d’offrandes, à peine 25 différentes bières depuis son ouverture. Clairement, on vise le marché niche de la bière de spécialité. Vieillissement en barrriques, Saison exotique, styles traditionnels rarissimes (une Gotlandsdricke, quelqu’un?), IPAs déjantées, Imperial Stouts ténébreux, la commande de Bièropholie devrait nous permettre d’avoir un bon aperçu de cette brasserie qui a résolument la cote chez nos voisins du Sud. Suivre la mode sans avoir besoin d’acheter du tissu? J’embarque!




SCHLAFLY

Tasmanian IPASchlafly roule sa bosse dans la région de St-Louis en plein centre des États-Unis depuis de nombreuses années et avec Boulevard, fait carrément la loi parmi les micros du Missouri. Contrairement à Jester King, nous avons ici affaire à une brasserie touche-à-tout, dont la qualité générale des produits est très élevée. Il est en fait impressionnant de constater que cette micro produit à la fois une Kölsch à l’équilibre exemplaire, une ESB fort réputée, un Barley Wine vieilli en fût de bourbon décadent et une Bière de Garde authentiquement rustique. Ils font de tout et tout est au moins bon, ce qui, avouons-le, est plutôt rare en ce bas monde et peut-être particulièrement où le grand nombre de brasseries en poussent plusieurs vers la spécialisation.

22 nov. 2012

Les brasseurs québécois: entrepreneurs à contre-courant

Deux nouvelles brasseries verront le jour sous peu à St-Jean-sur-Richelieu, deux autres à Drummondville, quelques-unes autour de Québec et non moins de quatre ont récemment ouvert leurs portes sur la rive nord de Laval. Et nous en passons. Tout cela, dans l'espace de quelques mois. Et l'histoire se répète depuis quelques années au Québec, sans signe d'essoufflement aucun. Les entrepreneurs brassicoles du Québec, de toute évidence, font légion.

Quand les journaux étaient un brin moins occupés à discourir de l’incapacité de l’industrie du coffre-fort à approvisionner adéquatement les gestionnaires municipaux québécois, ils traitaient souvent de la question de l’entrepreneuriat. Le Québec a presque toujours traîné un taux de chômage supérieur à la moyenne canadienne ces dernières années. Comme nous ne pouvons tous être employés de l’état, c’est encore pas l’entreprise privée que la création d’emplois doit majoritairement provenir. Or, il semble qu’en ce domaine, généralement, les Québécois soient frileux. Peu d’entre eux seraient munis du gêne entrepreneurial. Comment expliquer alors l’explosion de microbrasseries? Bien que très peu de brasseries québécoises aient fait faillite au cours de la dernière décennie, il n’en demeure pas moins que c’est une industrie risquée. Risque de passer inaperçu parmi les centaines de produits différents désormais disponibles. Risque de souffrir des envolées du coûts de l’essence qui font exploser les frais de livraison. Risque de fragilité du produit qui a généralement une durée de vie limitée. Risque d’approvisionnement en ingrédients parfois difficiles à dénicher. Risque de saisonnalité, la bière étant plus populaire l’été. Nous pourrions lister une centaine de risques, certains spécifiques à l’industrie sans avoir fait le tour de la question. Conclusion : pour lancer sa microbrasserie, il ne faut pas avoir froid aux yeux. 

Dominique Gosselin, maître-brasseur et co-propriétaire des Brasseurs du Temps
Photographie de David Gingras


N’empêche, plusieurs aventuriers se lancent à corps perdu dans l’aventure sans oublier les moult projets en branle, à diverses étapes de développement. Pourquoi les brasseurs vont-ils ainsi à l’encontre de la tendance québécoise, peu portée vers la prise de risque? Hypothétiquement pas pour l’appât du gain, peu de brasseurs emmenant leurs enfants à la garderie en Ferrari. Est-il possible que ce soit simplement la passion? Une passion pure et forte qui amène ces braves gens à surmonter embûches et lourdeurs administratives au péril de leur sanité afin d’espérer survivre en faisant jour après jour des tâches répétitives, certes, mais des tâches qui ont une profonde signification pour eux? Des tâches qui les tiennent loin de la monotonie assumée du monde des assurances, mais qui mettent à profit leur créativité tout autant que celle de l’actuaire réalisant avec excitation ses calculs de probabilité de mort par la foudre à Longueuil en 2027.

Quel plaisir ce doit être de manier le fourquet dans une marmite de 1 000 litres de moût bouillant alors qu’il fait 32 dehors en juillet. Quelle satisfaction que de laver le plancher de la brasserie avec un boyau de pompier pour la vingt-deuxième fois de la journée! C’est sans compter les cohortes de gamines collégiennes qui courent les festivals, entre deux barbus hirsutes, afin d’exiger du brasseur qu’il paraphe leur intimité. Le monde de la bière, c’est bien illustré dans les publicités télévisuelles, sait mettre en valeur la gent féminine. Les brasseurs, pas plus fous que les pompiers et autres hommes virils arborant l’uniforme, même si l’uniforme se limite à une paire de bottes de pluie, savent profiter de telles opportunités d’acoquinements. Peut-être y trouvent-ils une compensation additionnelle à celle de consacrer leurs journées à prétendre faire ce qu’ils aiment, alors qu’ils passent la majeure partie de leurs journées à remplir des formulaires, à gérer des employés pour qui l’absentéisme est une vertue, à tenter de grappiller quelques cents sur leurs commandes d’approvisionnement. Bref, ils passent la majeure partie de leur temps à faire exactement ce qu’ils faisaient avant de devenir brasseurs professionnels. Mais au moins, maintenant, ils sont brasseurs professionnels. Et ces tâches, ils les font par choix, ils les font pour eux. Grand bien leur fasse, grand bien nous fasse!

19 nov. 2012

Le langage des amateurs de bières de dégustation


Dans cette série de billets sur le vocabulaire utilisé par une majorité d'amateurs de bière de dégustation, nous tenterons d'explorer des tendances langagières récentes nées soit d'un isolement virtuel (communication par internet), soit d'un environnement de plus en plus "spécialisé" faisant fi du sens transmis auprès d'une population néophyte. Peu importe la question abordée, il se peut fort bien que nous méritions de visiter le bûcher autant que vous...


Photographie de David Gingras

Question #1:
Lorsque nous publions nos commentaires de dégustation sur internet, est-ce que nos goûts personnels doivent avoir préséance sur une juste description de la bière en question?

L'amateur de bière de qualité se croit souvent plus ouvert d'esprit que le buveur moyen. Après tout, il boit des bières racées, remplies de saveurs parfois intenses, mais surtout très différentes de celles des bières génériques de brasseries industrielles. Cependant, il nous arrive de constater, surtout sur des forums virtuels sur le sujet et/ou sur des sites tels Ratebeer.com ou Beeradvocate.com, que certains de ces dégustateurs semblent fortement privilégier un profil de saveurs particulier à tout autre. Par exemple, il n'est pas rare de lire qu'une Pilsener est parfaite pour le style, croustillante, bien équilibrée, etc. Mais lorsque la personne en question inscrit son pointage sur Ratebeer, par exemple, on remarque étonnamment que cette bière d'apparence impressionnante (si on se fie au langage utilisé pour la décrire) frise à peine le 3 sur 5. La raison: "cette bière ne cadre pas dans mes goûts personnels", nous confie le dégustateur en question. 

N'ayez crainte, il n'y a pas que le passionné de bières liquoreuses qui regarde les bières de soif de haut.  Il existe aussi certains dégustateurs qui décrivent une bière liquoreuse et richement caramélisée tel un Barley Wine anglais avec des termes tels "manque de buvabilité" et "trop sucrée" même si ce type de produit ne vise surtout pas la 'buvabilité' ou une parcimonie au niveau des sucres résiduels. On aurait dit que ces buveurs recherchent le même profil peu importe le type de bière en dégustation. Dans ce cas-ci, surtout pas de sucres résiduels qui encombreraient la facilité avec laquelle ils ont le goût de boire à ce moment précis. Les goûts personnels priment sur tout, sans souci pour l'objectif premier du produit.

À vous de trancher: est-ce qu'une appréciation juste du produit, teintée de parcelles de subjectivité, serait préférable au partage sans filtre d'impressions personnelles lors de communications virtuelles? Ou est-ce qu'un tel filtre ne ferait que mettre des obstacles vers notre atteinte du plaisir?

9 nov. 2012

La Double Bonheur, du Cheval Blanc, à Montréal


Le pub du Cheval Blanc 
(Photographie d'Olivier Germain)

Maintenant que la transition de maître-brasseurs est chose du passé, on peut véritablement profiter des talents d'Isaël Dagenais au fourquet de la légendaire taverne du Cheval Blanc. Sa toute première création, la Double Bonheur, donne le ton pour une ardoise qui ne sera jamais chiche en houblonnage généreux. Amateurs de bains de mousse et de robes de chambre, cette douillette création des plus parfumées est pour vous!

Style : Une India Pale Ale (presque Double IPA) très généreusement houblonnée puis gazéifiée avec une proportion élevée d'azote. Cette utilisation d'azote, commune pour les Stouts, a entre autres pour effet de baisser la teneur en acide carbonique, ce qui attendrit la morsure du houblon en amertume en plus de donner l'impression que les fruits tropicaux de ces mêmes houblons ont été confits.

Disponibilité: À tous les deux mois (environ), en fût exclusivement au brouepub de la rue Ontario.

Le coup d’œil : Les nombreuses bulles crémeuses cascadent à travers une robe dorée brumeuse avant de s'installer dans un duvet dense aux apparences fouettées. Le pâtissier du coin ne ferait pas mieux en matière de présentation.

Le parfum : Une envoûtante salade d'agrumes semble se métamorphoser en jujubes de temps à autre, soupesant quelques notes résineuses trouvées ici et là.

En bouche : La Double Bonheur sait soutenir ses houblons explosifs grâce à des céréales croquantes et légèrement miellées, toujours appuyées par cette impression ultra-crémeuse conférée par la gazéification à l'azote. Les 7% d'alcool ne paraissent pas du tout. C'est le confort suprême.

La finale : L'amertume résineuse est contrôlée par de subtils sucres résiduels mais surtout par la faible teneur en acide carbonique de la bière (gracieuseté de la gazéification à l'azote). 

Accords : La boustifaille du Cheval Blanc étant limitée à quelques snacks, nous préférons vous suggérer de marier votre Double Bonheur à toute conversation révolutionnaire que vous désirez entamer avec les gens autour de vous. 

Pourquoi est-ce un grand cru? : Le nivellement des sucres résiduels et de la concentration d'azote créent un corps luxueux, parfait pour soutenir les parfums de houblons avenants. Il est rare qu'une IPA à l'américaine puisse faire office de dessert, mais celle-ci réussit ce tour de force avec brio.

Si vous avez aimé, essayez aussi : La Hop'n'Cream, du Siboire (à Sherbrooke), la India Cream Ale, de la Brasserie Dunham (à Dunham) et la Mea Maxima Culpa, de Dieu du Ciel! (Montréal).

6 nov. 2012

La chance du débutant: mon coming-out

Le chais du Trou du Diable tel que vu par David Gingras, photographe
 
Excusez-moi, car j’ai péché. En effet, il semble que mon rôle d’amateur de bières sérieux autoproclamé implique un dévouement exclusif à l’empyrée de la bière. Or, il m’arrive de transgresser ces vœux pourtant sacrés. En effet, bien que les microbrasseurs québécois arrivent fréquemment à me surprendre en abordant des contrées parfaitement inattendues, je me surprends à l’occasion à rechercher de nouvelles flaveurs. Qui plus est, je me surprends parfois à rechercher ces flaveurs originales ailleurs que dans le monde de la bière. Certes, cette dernière est la plus variée, la plus étendue des boissons. N’empêche, il est de ces moments où l’envie d’étendre les frontières pourtant fort flexibles du monde de la bière s’empare des dernières traces de raison qui m’habitent. Je me paie alors une aventure avec le vin, la seule prostituée avec laquelle j’eus osé traiter à ce jour.

 

Et c’est sincèrement sans regret que j’ai entrepris un tel plongeon vers l’infidélité. Pas que ma concubine habituelle fut insatisfaisante. La bière, après tout, m’a accompagné fidèlement dans moult moments joyeux et moins joyeux. Cependant, après quelques années de fidélité indéfectible, et sans les attaches habituelles du contrat de mariage de la société civile dans laquelle on vit, je me dis qu’il serait sans doute approprié d’explorer davantage le vaste étendue des flaveurs disponibles à l’amateur de breuvages alcoolisés. Pourquoi se limiter au jus de malt quand il existe aussi du jus de raisin. Certes, au Québec, le raisin fermenté s’avère généralement plus dispendieux que son homologue céréalier. Néanmoins, le fruit propose quelques saveurs que la céréale peine à rendre aussi judicieusement, qu’il s’agisse de tannins ou d’acidité. Comment l’amateur de bière montréalais que je suis peut-il accéder à un univers de pH dérisoire digne de celui du vin sans acheter un aller-simple pour Bruxelles et son Pajottenland connexe. Peut-être serait-il plus simple d’opter pour une bonne canisse de petits fruits du vieux continent en vente libre à la SAQ afin d’assouvir nos fantasmes de liquides non basiques.

 

Bref, j’accepte l’étiquette de traître et continuerai vraisemblablement de la porter au gré de mes goûts évolutifs. Le vin joint encore mon âme et plus qu’occasionnellement. En particulier, j’apprécie sa capacité à m’insuffler le souffle d’humilité propre au débutant. Vous vous rappelez vos premières incursions dans l’univers de la bière? Vous vous souvenez comme la moindre référence à un style dont vous ignoriez précédemment l’existence suffisait à vous extirper une chair de poule en bonne et due forme? Ces temps sont-ils révolus? Vos connaissances seraient maintenant trop raffinées pour vous permettre d’accéder à la béatitude toute naturelle du « débutant »? Quel meilleur raccourci que de trahir, l’ombre d’un instant, la bière pour lui préférer son rival favori : le vin.  C’est une question à laquelle je n’ai pas tenté de répondre, ayant préféré cédé sous la pression du choix et surtout, sous la densité du jus de raisin non fermenté. Allez, appellation qui m'est inconnue, fais-moi explorer un territoire qui m'était jusqu'ici inconnu. Fais-moi ressentir la douce allégresse que seul l'innocent peut ressentir... Vivement la relation amoureuse à ses balbutiements, vivement la découverte de l'inconnu.
 
Will you drink to that?

29 oct. 2012

Les meilleures cuisines brassicoles du monde - The Anderson, à Fortrose, en Écosse



The Anderson est un des rares endroits sur la planète à réussir à séduire tous les sens. Jim et sa femme Anne (vous aurez deviné que ce sont les Anderson) orchestrent effectivement, depuis une dizaine d'années, un époustouflant concert de saveurs et de conforts à presque tous les soirs de l'année dans leur restaurant/pub/auberge des Highlands écossais. Installés dans un village au nord d'Inverness qui pourrait être habité par davantage de moutons que de clients potentiels, le couple Anderson partage leurs passions avec tout amant de la dégustation. Tout d'abord, vous pourrez trouver en tout temps la sélection de Jim comprenant plus de 200 whiskys à l'ardoise, 100 bières belges en bouteille, une douzaine de bières en fût et une poignée de casks du Royaume-Uni. Et lorsqu'on prend le temps de lire ce vaste menu, on remarque rapidement que c'est de la qualité mur à mur. Le tout, évidemment, servi dans deux pièces immensément chaleureuses. 

Le plus petit des deux bars de l'endroit

Lorsque la faim vous tenaille, c'est Anne et son équipe qui vous prend en charge. Tous les ingrédients principaux de la carte, des viandes aux herbes, viennent de Black Isle (la région précise des Highlands dans laquelle se trouve Fortrose). Honnêtement, il y a beaucoup trop de choix alléchants encore une fois. On peut allègrement passer du gumbo de fruits de mer à la façon Nouvelle-Orléans aux moules des îles Shetland avec une sauce faite de la bière d'Orval et de fromage fumé d'Ullapool, pour ensuite passer à un filet de chevreuil en sauce à la Kriek servi avec black pudding ou à un flanc d'agneau à la grecque sur pâtes à l'encre de seiche et sauce au homard. Comptez sur nous, les saveurs rendues sont aussi impressionnantes que vos attentes seront élevées en lisant la dite carte.

Les habitants laineux du village avec vue sur la baie de Fortrose

Comme si cela ne suffisait pas, les chambres au deuxième étage sont presque toutes munies de lits à baldaquin et de feux de foyer dans un air vieillot qui n'a pas du tout l'air guindé. Le bâtiment a du vécu, c'est évident. Normal, on a le goût d'y passer beaucoup plus que 24 heures à chaque visite!

22 oct. 2012

La Dominus Vobiscum Saison, de la Microbrasserie Charlevoix, à Baie-Saint-Paul


Style : Évidemment, c'est une Saison. Mais, détrompez-vous, ce n'est pas une interprétation 'nouveau monde' de ce style. La Dominus ne met pas en valeur un bouquet explosif de houblons aux notes tropicales tout comme elle n'est pas bourrée d'épices. C'est plutôt une Saison traditionnelle qui respecte les dosages des exemples wallons. Une superbe bière de champ comme de salon.

Le coup d’œil : Une tour de mousse blanche est solidement érigée sur la robe dorée brumeuse.

Le parfum : Un habile équilibre de houblons nobles, de levures à Saison et de fruité rappelant les agrumes nous préparent pour un profil de saveurs tout à fait authentique.

En bouche : Les houblons épicés, les levures et les malts aux effluves de pain semblent se joindre afin de peindre quelques traces d'orange. Le tout est si facile à boire, voire même désaltérant, qu'on a presque le goût d'être égoïste et de ne pas partager...

La finale : Des houblons herbacés à l'amertume doucereuse sont nettoyés par des vagues de gazéification ample et douillette.

Accords : Un fromage à pâte semi-ferme aux accents fermiers (comme Alfred, de la Fromagerie Compton), une salade verte avec huile de tournesol, un pique-nique sous un grand feuillu, puis... une ballade spontanée, tiens. Pour les plus fatigués, il suffira d'entonner "La ballade des gens heureux".

Pourquoi est-ce un grand cru? : L'authenticité du profil de saveurs, le corps moelleux et le dosage méticuleux de toutes les saveurs participantes ne peuvent être plus aguichants. De plus, les flaveurs épicées sont si bien dosées que le dégustateur peut laisser libre cours à son imagination; est-ce qu'il y a de la coriandre dans cette bière? De l'écorce d'orange? Ou est-ce simplement un profil fermentaire épicé?

Si vous avez aimé, essayez aussi : La Saison du Tracteur, du Trou du Diable (à Shawinigan), la Saison Rustique de la Brasserie Dunham (à Dunham) et la Arthur de Hill Farmstead (au Vermont).

14 oct. 2012

L'improbable histoire de levures qui n'existaient pas


Madame Udriene, brasseure campagnarde du hameau de Jovarai, à quelques mètres de Pakruojis dans le nord-est de la Lituanie, brasse sa Jovaru Alus avec presque les mêmes ingrédients que ses ancêtres. Notamment, sa souche de levure est la même que celle utilisée par la famille depuis des lunes. Ce n'est pas une version fraîche de cette souche non plus. C'est la souche originale qui oeuvre dans les fermenteurs à aire ouverte de la picobrasserie depuis des générations. Lorsque ces levures ont dû être gardées au froid dans une période où la réfrigération n'était tout simplement pas disponible, elles étaient mises sous terre, à l'abri des chaleurs estivales. Lorsque le brasseur en avait besoin, il les déterrait et les mettait au travail peu de temps après. Vous pouvez imaginer les mutations que ces levures ont subies après avoir été utilisées aussi souvent et dans de telles conditions...

Madame Udriene, dans sa brasserie derrière sa maison

Une fois revenus à Montréal, avec quelques bouteilles de plastique pleines de Jovaru Alus dans nos valises, nous avons partagé ce produit unique en dégustation. Un ami à nous, fasciné autant que nous par la rondeur de cette bière et, somme toute, sa grande buvabilité,  a pris plaisir à mesurer sa densité finale. En d'autres mots, il voulait connaître la quantité de sucres résiduels de cette Kaimiškas Alus, qui nous apparaissait passablement riche et douce. Coup d'éclat: le résultat de la mesure de la densité finale était aussi improbable que difficile à comprendre. 1.0025; 95% d'atténuation! Si vous préférez, nous avions techniquement affaire avec une bière presque dénuée de sucres résiduels... Nos papilles refusaient le constat, mais nos cerveaux respectifs ne pouvaient que faire confiance à notre ami brasseur, parmi les plus professionnels et diligents qu'il nous a été donné de rencontrer. Nous avons été plongés dans le mystère le plus complet pendant une bonne semaine.

À la prochaine dégustation, nous avons remarqué qu'effectivement la finale de la Jovaru Alus, donc l'impression en bouche tout juste avant la déglutition, était très mince, voire même sèche. Mais le corps qui la précédait était loin d'être chétif. Disons une rondeur semblable à celle d'une Extra Special Bitter, classique.  Le mystère devenait de plus en plus profond; nous étions dans l'incompréhension totale. Jusqu'à ce qu'une amie, brasseure elle aussi, et surtout étudiante au doctorat en biologie, nous proposa d'examiner la lie de notre dernière bouteille au microscope. Les levures de Madame Udriene ont donc été transportées vers un laboratoire et un centre de séquençage à l'Université McGill.


De fil en aiguille, la séquence d'ADN des levures de Jovarai a été comparée à toutes les séquences d'ADN d'espèces de levures connues dans la banque de données GenBank, une banque gérée par le National Center for Biotechnology qui contient toute les séquences d'ADN identifiées et déposées par des chercheurs à travers le monde dans les 20 dernières années. Premier résultat: nous avions sous la main des levures de l'espèce Saccharomyces. Aucune surprise à ce niveau. Il restait à trouver la spécificité de ces levures. En d'autres mots, était-ce une Saccharomyces Carlbergensis, une Saccharomyces Bayanus, une Saccharomyces Cerevisiae Diastaticus, etc.? Après avoir comparé avec toutes les Saccharomyces de la banque de données mondiale, la réponse était 'non'. Toujours 'non'. Aucune des souches dans la GenBank ne pouvait être assignée à celle de la Jovaru. Les résultats suggèrent donc que la souche de la famille Udriene puisse appartenir à une espèce non identifiée. Cependant, nous ne pouvons tester la possibilité que cette souche soit le résultat d'une hybridation de deux espèces de Saccharomyces. C'est comme si nous avions trouvé une grenouille inconnue du monde scientifique. Il se peut qu'elle soit d'une nouvelle espèce; mais il se peut aussi que ce soit simplement une grenouille connue mais mutée, munie de quelques organes déformés. Comme si la Lituanie ne nous pas déjà convaincue qu'elle possédait une culture brassicole à part entière...


Gros merci à Olivier Bergeron, pour sa curiosité initiale qui a mené à des recherches plus poussées, et à Marie-Julie Favé, qui nous a permis de faire la lumière sur cette souche de levure on ne peut plus fascinante.

Un journal lituanien traitant de notre découverte:

11 oct. 2012

Pourquoi percevons-nous différemment les bières devenues "classiques"?

Comme ça, la St-Ambroise Noire ne serait plus ce qu’elle était. La Trois-Pistoles ne serait plus l’ombre d’elle-même. Ces grands classiques d’hier et d’aujourd’hui, comme plusieurs de leurs honorables confrères pionniers font moins parler qu’il y a quelques années. À en croire certains amateurs, ces produits sont toujours agréables, mais beaucoup moins qu’autrefois. Pire, selon certains, la faute incomberait aux brasseurs. Les théories sont multiples : l’attention accrue aux coûts de production lorsqu’une microbrasserie croît, les changements d’équipement de brassage, la tendance subtile et sournoise des brasseurs de rendre leurs produits plus doux afin de plaire au plus grand nombre… Tout a été évoqué.

Certains amateurs choisissent plutôt de faire porter le blâme à leurs propres papilles. Simplement, leurs goûts ont évolué avec le temps. Nous allons dans le même sens, mais encore plus loin. En effet, de prime abord, il est presque inimaginable qu’une St-Ambroise Noire ou une Trois-Pistoles goûte exactement la même chose qu’il y a dix ou quinze ans. En effet, même si nous ignorons si les ingrédients sont restés les mêmes, il est indéniable qu’une entreprise en croissance ait vu ses équipements évoluer. Que dire des brasseurs eux-mêmes. Combien d’employés se sont succédés dans les salles de production de McAuslan et d’Unibroue au fil de la dernière décennie. Vous pouvez bien donner une même recette à deux grands cuisiniers maîtrisant parfaitement les techniques de leur métier, les deux plats qu’ils produiront ne seront pas identiques. Nous ne parlons pas ici de produits scientifiquement industrialisés tel un Big Mac, nous parlons de bière artisanale. Donc oublions d’emblée la parfaite stabilité temporelle de nos références de jadis. Et surtout, oublions encore plus rapidement la parfaite stabilité temporelle de nos références d’aujourd’hui. Si les McAuslan et Unibroue ne peuvent pas goûter exactement ce qu’elle goûtaient hier, imaginez alors les Trou du Diable et autres Charlevoix que vous admirez aujourd’hui.

La gamme d'Unibroue rafle toujours de multiples honneurs dans des concours partout sur la planète...

Lorsque la pénurie de houblon s’est pointée le nez, pensez-vous que toutes les brasseries ont maintenu intactes les recettes de leur gamme de bière? Si elles ont préféré le résultat obtenu en tentant de réaligner le tir, pensez-vous qu’elles sont retournées en arrière? Bien sûr que non. Nombre de brasseries artisanales sont constamment à tenter d’améliorer leurs recettes. Certaines changent les noms de brassins en brassins, d’autres, non. Plusieurs de ces bières sont vos favorites, celles que vous considérez désormais comme ayant pris la place des Trois-Pistoles et St-Ambroise Noire. 

Sur une tangente différente, rappelez-vous votre univers de la bière il y a dix ans. Montréal avait certes Dieu du Ciel (avec beaucoup moins de fûts…) et l’Amère à Boire, mais ni Succursale, ni St-Bock, ni Vices et Versa, ni Brouhaha, ni Benelux… L’offre était très bonne il y a dix ans, ne vous y méprenez pas, mais elle n’était pas la moitié de ce qu’elle est devenue aujourd’hui, et probablement nettement inférieure à ce qu’elle deviendra demain. Comme Coureurs des Boires, nous avons pu constater cette heureuse réalité à répétition depuis quelques années. Lorsque La Route des Grands Crus de la Bière a été publiée, il y a environ deux ans aujourd’hui, nous avions sélectionné une centaine de grands crus québécois et de Nouvelle-Angleterre en nous basant sur certains critères de qualité tant personnels et subjectifs que longuement discutés et pris au sérieux. Aujourd’hui, seulement deux ans plus tard rappelons-le, en maintenant les mêmes seuils de qualité, nous pourrions trouver une cinquantaine de nouveaux grands crus sur le même territoire. En parallèle, rares sont les grands crus du livre que nous voudrions retirer dans une réédition. L’offre microbrassicole est un environnement qui évolue et c’est un véritable ouragan qui emporte tous les dégustateurs dans son sillon. Nos références ne peuvent qu’évoluer en tentant de s’adapter. L’offre de produits de qualité se renouvelle constamment.

Lorsqu'on fait connaissance avec la Framboyante des Brasseurs du Temps, c'est certain que l'on perçoit soudainement la bière à la framboise de McAuslan différemment

Où voulons-nous en venir? Eh bien, se pourrait-il que cette Trois-Pistoles et cette St-Ambroise Noire, qui étaient naguère solidement ancrées dans nos top 10 des bières québécoises, n’aient pas évoluées tant que ça? Plutôt, si une ou deux centaine(s) de bières étaient autrefois en concurrence pour une place dans nos top 10, elles sont maintenant beaucoup plus d’un millier. En d’autres mots, toutes proportions étant conservées, les top 10 d’il y a dix ans équivalent peut-être bien aux top 100 contemporain. Conséquemment, dans quatre ou cinq ans, lorsque de nouvelles brasseries auront continué de renouveler l’offre de produits de qualité, peut-être constaterez-vous avec nostalgie que la Trois-Pistoles et la St-Ambroise figurent toujours à votre top 200. Il sera alors grand temps de renouveler avec ces flammes et de les remercier pour leur fidélité, car si vos goûts ont peut-être évolué, elles-mêmes se sont montrées d’une impressionnante constance et fiabilité considérant l'effervescence certaine du monde qui les entoure. 

4 oct. 2012

Nous, les bobos de la bière

Si comme moi vous avez grandi avec The Simpsons et François Pérusse pour références humoristiques et que comme moi, vous n’avez pas beaucoup grandi depuis, alors vous êtes probablement comme moi et vous vous trouvez grandi après avoir écouté un épisode de l’exquise série télévisée Les Bobos, mettant à l’affiche les talentueux Anne Dorval et Marc Labrèche. Ces bourgeois bohèmes sont la définition même du « all-talk », s’auto-proclamant juges du bon goût sur tout et surtout sur rien. Premiers à critiquer, derniers à créer, ils dénigrent constamment leurs prochains pour leur rusticité et ce, avec une artificialité à la fois ironique et pathétique. La table étant mise, il faut reconnaître que l’amateur de bière féru pourrait facilement faire l’objet d’une bonne saynète à la sauce des Bobos.

En effet, si pour le lecteur moyen de ce blogue, il est tout à fait normal d’inspecter la robe ébène d’un Imperial Stout à l’aide d’une lampe de poche afin de nous assurer de sa parfaite opacité, il n’en est pas nécessairement ainsi pour une majorité de téléspectateur d’une émission populaire. Nous avons beau présenter la bière comme une boisson populaire invitant à socialiser et se prenant moins au sérieux que le vin, en prenant du recul, il y a quelque chose d’étonnant et superficiel aux côtés des grands enjeux de société à consigner dans un tableur Excel nos notes de dégustations tout en critiquant notre mère qui lave sa flûte de blanche de Chambly édition 1995 au savon sans tenir compte de l’impact négatif du savon sur la tenue de mousse.

Bien sûr, vous aimez les bières artisanales uniquement pour leurs arômes, leurs textures et leurs saveurs. Vous n’en avez que faire de l’appartenance à une strate de société ou une autre en fonction de ce que vous ingérez. Faut-il pour autant interpréter comme une attaque personnelle la survie de Breughel qui pousse l’audace jusqu’à l’ouverture d’une deuxième succursale? Faut-il refuser de boire la Rickard’s Red que votre beau-père vous offre gracieusement parce que « vous savez qu’elle n’est pas bonne » sans même l’avoir tâté de vos papilles? Faut-il absolument prendre une photo du menu du Benelux lors d’un Cask Night parce que « le menu est juste trop malade!! »? Oui, je sais, vous êtes des passionnés. C’est ce qui vous allume, ce qui vous garde en vie. N’empêche, parce qu’un peu d’autodérision aide toujours à mettre en lumière nos gravissimes problèmes comme une rumeur de pénurie de houblon ou le faible nombre de bouteilles embouteillées du Porter Baltique vieilli en fût de bourbon des Trois Mousquetaires, si jamais un de nos lecteurs connaît bien un scénariste des Bobos, parlez-lui de nous. Nous sommes prêts à leur démontrer toute la superficialité de nos petites personnes si ça peut leur inspirer un sketch hilarant. Sur ce, je vous laisse, je dois aller terminer l’inventaire hebdomadaire de ma collection d’ouvre-bouteilles.

David et un de ses idoles, Jan-Philippe Barbeau, maître-brasseur du Loup Rouge
Photographie de David Gingras

29 sept. 2012

Les pâturages brassicoles de la Lituanie - sur le chemin de Panevėžys


Cet ancien bunker sert maintenant de salle de conditionnement et d'embouteillage pour l'excellente brasserie Kupiškio


Entre Vilnius au sud-est de la Lituanie et le nord-est campagnard du pays où la majorité des brasseurs fermiers évoluent se trouve la région de Panevėžys, cinquième ville du pays. Étonnament, même si c'est la bourgade de Biržai qui se voit nommée officieusement la capitale brassicole du pays, davantage de brasseries opèrent dans la région de Panevėžys. Voici premièrement celles en périphérie, toutes sur le chemin de cette ville énigmatique:


Kupiškio Alaus, à Kupiškis
Entrée de la petite boutique de la brasserie

Seulement disponible en bouteilles de 2 litres (en verre et non en plastique; quel luxe!), la Magaryčių Alus de Kupiškio a tout pour séduire. Imbue de subtiles notes rurales, elle étale ses malts toastés et ses noisettes rôties sur de surprenants houblons boisés et herbacés. Une grande bière. Même constat pour la Patulo Alus, plus citronnée et sèche et la Keptinis, recréation d'un vieux style de bière lituanien presque disparu.

Bien que l'on puisse trouver ces bières dans toute leur fraîcheur à Kupiškis même, soit à l'est de Panevėžys, les belles bouteilles de formes variées de cette brasserie se trouvent assez facilement à Vilnius, si vous savez où aller bien sûr... De plus, cette boutique de Kupiškio Alaus se veut un arrêt agréable pour faire le plein en direction de l'excentrique brasserie Čižo à Dusetos (par exemple).

Chose rare en Lituanie, le contenant est aussi agréable que le contenu chez Kupiškio


Taruškų Alaus Bravoras et Miežiškių Bravoras, à Trakiškis
Pichets de service traditionnels

Tout juste à l'est de Panevėžys, sur une route rurale comme toutes les autres, un bâtiment sans âme abrite non pas une, mais deux brasseries artisanales. Aucune enseigne ne communique ce fait cependant. Impossible de comprendre ce qui se trame donc derrière la grisaille industrielle. Question d'augmenter la confusion, les deux brasseries se retrouvent exactement côte-à-côte et appartiennent d'ailleurs aux mêmes propriétaires... Puis ils ont toutes deux leur propre système complet de brassage. Bref, ces entrepreneurs ont tout en double et ce, à relativement gros volume. Question de rendre les choses encore plus agréables pour ceux tentant de les découvrir, ces deux brasseries ont changé de nom récemment: une s'appelait Habilitas et l'autre Habiterus. De telles histoires ne s'inventent pas.

Ce qui importe pour nous tous, c'est que les bières sortant des nombreuses cuves de cette entreprise sont de grande qualité. La Taruškų Šviesus charme le plus avec ses modestes notes de foin adjointes à des céréales toastées et une finale de houblon épicé, le tout dans un corps relativement sec. La Kanapinis Tamsus est presque autant talentueuse, laissant dévaler des malts toastés et caramélisés sur un lit doucement fruité, construisant un example classique de la Tamsus lituanienne.


Des vestiges de l'ère soviétique toujours capables de produire des bières très agréables

Su Puta Alaus, à Paliūniškis
Enseigne au devant de la boutique de la brasserie

Dans un quartier résidentiel au nord de Panevėžys, la famille Gūrų concocte des bières somme toute mémorables. Chose pratique, Su Puta possède une minuscule boutique en face de la brasserie où tout passant peut faire remplir des bouteilles de bières fraîches à même le fût. Le même concept qu'un 'growler' en Amérique du Nord, finalement. Un vieil homme s'y attardait d'ailleurs, jasant avec la dame de la maison, pinte en main, lorsqu'il nous aperçut sur le point d'envahir son quotidien de notre étrangeté. Quelques secondes plus tard, nous étions seuls avec la dame... 

La brasserie offrait non moins de 5 bières différentes ce jour-là, en plus d'un gira (le kvass des lituaniens). La plus délectable à ce moment était l'étonnante Senolių, une ale passablement levurée non sans rappeler certains grands succès de l'ouest européen (belge forte ou Heller Weizenbock?) avec ses esters de bananes, ses flaveurs de pain, de blé et ses houblons épicés, le tout à 8% d'alcool. 

Contrairement à la majorité des brasseries dans notre guide brassicole de la Lituanie, il est très facile d'obtenir les bières de Su Puta. Un défi de moins une fois de temps en temps, ça fait du bien!


Maison-boutique devant la brasserie Su Puta


Piniava Alutis, à Piniavos
Il n'est pas rare qu'une brasserie en Lituanie soit située dans un bâtiment ayant des allures de bloc à appartements






Cette brasserie aux apparences anodines façonne pourtant des bières fascinantes, dont l'excellente Seklyčios, une bière aux céréales toastées munies d'angles miellés et saupoudrées de houblons boisés, amers. Une superbe bière de soif que l'on peut déguster au très chaleureux bar Prie Uosio, à Panevėžys même (on le présentera dans un futur article). 




La brasserie concocte aussi d'autres bières plus surprenantes, fermentées à 35 degrés Celsius(!!) avec de la levure à pain, filtrées soit à l'aide de branches de framboisiers, soit à l'aide de branches de trèfle violet. Une tradition de la région de Kupiškis, selon le maître-brasseur. Comme la majorité des brasseries de la campagne, impossible de tout simplement passer chez Piniava Alutis sans rendez-vous, mais au moins on peut se replier sur le Prie Uosio en ville!







Propriétaire et maître-brasseur de Piniava Alutis nous faisant visiter sa brasserie

Avant de passer au prochain article sur les bars et brasseries du centre de Panevėžys, nous devons vous confier qu'il nous reste encore du travail à faire en périphérie de la ville. Notamment, nous avons pris connaissance d'une autre brasserie rustique du nom Salamiescio Alus, supposément à Paliūniškis, tout près de Su Puta. Notre ami de Tikras Alus les a contacté récemment et la dame au bout du fil a presque essayé de le convaincre de ne pas passer les voir... Disant qu'ils vendent seulement aux gens locaux, mais qu'ils sont sur le point de fermer de toute façon, elle a renchéri en clamant qu'elle ne voulait pas qu'on parle d'elle. Désolé, madame, mais on peut retrouver l'adresse de votre entreprise dans les recueils locaux à cet effet... Une autre brasserie à déguster lors de notre prochain périple en Lituanie!