29 sept. 2011

Les bières de Thornbridge disponibles en importation privée



Tout comme les subtiles bières d’origine germanique ou tchèque, les bières anglaises ont la réputation de n’être que l’ombre d’elles-mêmes en bouteille. Cette réputation met surtout en valeur l’extraordinaire fraîcheur et le séduisant pouvoir aromatique du cask, véhicule de service favori des microbrasseries anglaises. En réalité, le préjugé envers la bouteille anglaise découle souvent d’un contenant inapproprié, une bouteille claire par exemple ou d’une pasteurisation extrême qui dénature le produit, mais encore plus souvent du délai exagéré entre l’embouteillage à la brasserie et la dégustation par le nord-américain. Via Importations Privées Bièropholie, ce délai devrait se limiter à quelques mois, ce qui se compare vraisemblablement au délai qui avait été subi à l’étonnante palette de bières anglaises qui nous a été présentée lors du dernier Mondial de la Bière. Thornbridge était d’ailleurs l’une des brasseries mises en valeurs. Lors de cet événement, la qualité exceptionnelle de plusieurs bières anglaises, malgré leurs quelques mois d’âge, nous a fait ravaler plusieurs de nos préconçus face aux bières anglaises embouteillées. Certaines se tirent très bien d’affaire.





À défaut d’avoir la chance de savourer une merveilleuse Jaipur en cask (un des grands coups de cœur de l’auteur de ces lignes lors de son dernier séjour en Angleterre où il a sauté de cask en cask durant un mois particulièrement chargé comme en témoignait son tour de taille au retour), on peut se faire une bonne idée du renouveau chez les brasseurs anglais. Thornbridge fut l’une des premières brasseries anglaises très modernes, ne se limitant plus à une gamme de bitters presque identiques, une Mild plus foncée ou un porter/stout rarissime, rarement accompagné d’une bière plus musclée. Thornbridge a sauté à pieds joints dans la réhabilitation de la Golden Ale via des houblons très citriques, laquelle se retrouve partout sur l’île depuis quelques étés. Ce sont même des anciens de Thornbridge qui ont fondé Brewdog, cette brasserie écossaise éclatée qui produit maintenant l’une des gammes les plus extrêmes du monde.

La mise en contexte étant faite, vous attendez sans doute de connaître l’identité des produits auxquels nous aurons accès ? La voici :

Ceux que nous avons goûtés

Wild Swan
Du haut de ses 3,5%, il s’agit bien sûr de la Session Beer de la maison. Une bière pâle qu’un Anglais n’envisagerait jamais de commander dans un format autre que la pinte. Son objectif est clair : rafraîchir et elle le fait admirablement grâce à ses houblons épicés et citronnés, un brin acides, servis sur un corps svelte imposant la grande gorgée. Les fanatiques du projet Éléphant de l’Amère à Boire devrait apprécier.

Kipling
Voici une Pale Ale dite Pacific en raison du caractère exotique de son bouquet où les houblons provoquent l’émergence d’une belle salade de fruit où s’entremêlent litchi, melon miel et fruit de la passion. Clairement, on mise sur les arômes, l’amertume demeurant modérée. Une belle prise pour les amateurs de la Sabotage du Benelux.

Jaipur
Encore une Pale Ale, mais cette fois plus tranchante dans son amertume et sans être lourde, plus riche. Elle atteint un équilibre remarquable entre la franchise des arômes d’agrumes de ses houblons frais et leur élégante, mais poignante amertume, laquelle est bien supportée par une base maltée rappelant la tartine au miel. Une IPA anglaise au penchant très américain.



Saint Petersburg
Les notions d’équilibre prennent le bord chez cette, vous l’aurez deviné par le nom, Imperial Stout. Ici, on vise un public en fin de soirée, qui daigne troquer son digestif seulement contre une offrande aussi liquoreuse. L’alcool, des fruits foncés et les touches chocolatées et expresso des malts rôtis s’étalent dans un tout cohérent et dessert à souhait. Les fervents de l’Impériale Express du Siboire devraient aimer.

Ceux que nous n’avons pas goûtés

Kill your Darlings
Cette lager rousse inspirée par la Vienna, un style habituellement dirigé par des malts agréablement toastés, mise sur un houblon américain, l’Amarillo, qui dégage habituellement des effluves relevés de mandarine et de résine.

Versa
La Versa se veut une Hefeweizen classique, utilisant la levure bien particulière typique de ces bières de blé allemande qui rend le fameux caractère de gomme balloune, de clou de girofle et de banane mûre.

Raven
La plus moderne des Thornbridge, cette Raven est une Black IPA, donc une bière noire puissamment houblonnée et dont les amertumes en provenance du grain rôti et de l’amalgame de six houblons différents résonnent ensemble.

Bracia
Une création aussi rare que spéciale et dispendieuse, la Bracia est une bière forte à l’intersection du Barley Wine et de l’Imperial Stout. Utilisant du miel de châtaigne dans son élaboration, on la dit riche et complexe, à la fois terreuse, chocolatée et toastée.



Après ce tour d’horizon, vous comprenez bien le topo. Thornbridge, à l’image de quelques-uns de ses contemporains anglais auxquels nous n’avons jamais accès, déconstruit les styles classiques, mais en conservant un souci particulier pour le riche héritage brassicole britannique. Nous avons l’occasion de découvrir ce nouveau mouvement. À qui la chance?

25 sept. 2011

Les joyaux de la campagne franconienne - 2e partie


Peu importe dans quelle direction on se dirige en quittant Bamberg, que ce soit en vélo, en voiture, en train ou même à pied, on y croisera des brasseries villageoises. De quoi décourager le plus vaillant des collectionneurs. Question d'exposer davantage l'ahurissante richesse brassicole de cette région du nord de la Bavière (et de vous torturer un tantinet), nous vous présentons un autre minuscule coin de ce paradis rempli de brasseurs de grands crus. 

Dans le dernier article, nous vous avions fait part de nos coups de coeur tout juste au sud-est de la ville protégée par l'UNESCO. Cette fois-ci, on vise un noyau de bourgades  quelques kilomètres à peine au sud-ouest. Les 14 brasseries nommées dans ce billet se retrouvent sur une boucle routière d'une trentaine de kilomètres. Gare aux cyclistes assoiffés: les distances sont trop courtes et les brasseries de qualité trop nombreuses pour que vous vous en sortiez indemnes...

Le Kreuzberg, entre Hallerndorf et Schnaid

Cette colline au beau milieu de champs de moutarde et de verdure dandinante est couronnée de deux kellers de brasseries artisanales différentes puis d’une brasserie à proprement dit. Il suffit de faire une trentaine de pas pour changer de brasserie et de sélection de bières. Le keller de Brauerei Rittmayer, brasserie du village de Hallerndorf en bas de la côte, sert une Rauchbier maison sublime et une Kellerbier superbement houblonnée. Le keller de Brauerei Lieberth, aussi de Hallerndorf, offre une Kellerbier plus douce, toujours d’un baril de bois sous les marronniers. Finalement, la Brauerei Friedel am Kreuzberg offre une panoplie de produits dans une atmosphère contagieuse rappelant les vastes biergartens de Munich. Jeux pour enfants, menu complet de restaurant et plusieurs bières-maison à la fois, toutes méritant une pinte. Décidément, tout ce qu’il manque sur le Kreuzberg, c’est une grange dans laquelle on pourrait faire une sieste. À bien y penser, il y en avait sûrement une derrière la chapelle…



Brauerei Witzgall, à Schlammersdorf

À prime abord, la Brauerei Witzgall ne respire pas la convivialité autant que la brasserie franconienne moyenne. Son salon est sobre et semble appartenir aux locaux qui se demandent pourquoi un étranger a l’audace de pénétrer ces murs décorés il y a 50 ans. La cour extérieure, derrière le salon, est un étroit amas de tables de pique-nique entourées de clôtures et de fûts non remplis. Ici, on n’essaie même pas de plaire. C’est peut-être un bon signe ? La Vollbier, lager blonde servie au fût, est plaisante et désaltérante, sans prétention. 


« Vous avez une autre bière ? », dit le coureur des boires curieux. « Oui. » répond la bonne dame, « mais seulement en bouteille ». « Zwei, bitte » rétorque le coureur d’un accent quasi-passable, sans attentes particulières. Et c’est ainsi, sans artifices, qu'une des meilleures lagers d’Allemagne, la Landbier de Witzgall, nous a été présentée pour la première fois. Des houblons fruités, herbacés et poivrés percent des malts soyeux aux  accents miellés, le tout dans un corps des plus douillets. Une lager au dosage parfait; pas trop intense, mais jamais timide, elle révèle tranquillement, au fil des gorgées et des verres, tout son charme. Tout ça, pour moins d'un euro la pinte. En peu de temps, on décide que les murs défraîchis sont absolument séduisants. 

Löwenbräu, à Buttenheim

On ne parle évidemment pas ici de la Löwenbräu distribuée un peu partout sur la planète-bière, appartenant à la géante InBev. La toute petite Löwenbräu du village de Buttenheim, facilement accessible en train à partir de Bamberg, est beaucoup plus coquette. Et ces bières possèdent bien plus de caractère. La Ungespundetes Lagerbier, bière phare de la maison, est la seule lager disponible au fût dans le petit salon de la brasserie. Les habitués y jouant aux cartes ont adopté son houblon frais et herbacé entouré d'angles minéraux, le tout dans une gazéification douce typique aux Ungespundetes (qui sont gazéifiées un peu comme des bières en cask, pour vous donner une idée). Les bières saisonnières du moment, Pilsner, Vollbier Hell, Weissbier, etc., sont seulement disponibles en bouteille. Prix total pour 3 pintes à Buttenheim, une bue sur place et deux pour rapporter à la maison? 3 euros 50. 3... euros... 50... Pourquoi résister? 

Le salon de la petite Löwenbräu semble fait sur mesure pour un chasseur de grands crus...  

Si vous disposez de quelques jours supplémentaires dans ce secteur, sachez qu’il y a aussi, dans cette boucle d'une trentaine de kilomètres, la Brauerei Roppelt à Stiebarlimbach et son keller des plus populaires, la Brauerei Kraus à Hirschaid et sa cuisine savoureuse, la Brauerei Friedel à Zentbechhofen et sa sublime Vollbier Hell en bouteille, la Brauerei Fischer à Greuth et sa Rauchbier charnue, la Brauerei Weber à Röbersdorf et sa Rauchbier plus délicate, la Brauerei Schwarzes Kreuz à Eggolsheim et son salon sombre, la Sankt-Georgen Bräu, à Buttenheim, en face de la Löwenbräu, la Brauerei Hennemann à Sambach et sa Lagerbier remarquablement similaire à sa Zwicklbier, et la Brauerei Barnikel, à Herrnsdorf, qui appartient à la même famille depuis le 14e siècle! Nous ne voudrions pas abuser du terme « paradis » dans ce guide de voyage brassicole, mais vous comprendrez que…

 Non, mais qu'est-ce que vous attendez pour aller en Franconie? 

La semaine prochaine, on s'enfonce dans la campagne à quelques dizaines de kilomètres à l'est de Bamberg, dans une région surnommée la Franconie Suisse afin de rejoindre une région forestière prisée des vacanciers allemands. Évidemment, il y a "quelques" brasseries artisanales familiales dans ce coin qui méritent autant d'attention que les plus courues de la Bavière. 

22 sept. 2011

Souvenirs de Zwanze Day

Photos: Alain Quévillon


Samedi dernier, le 17 septembre vers 14h30, j’attendais patiemment l’ouverture du Dieu du Ciel ! (« DDC ») sur le trottoir de l’avenue Laurier. Subitement, un individu qui n’écoute sûrement pas les nouvelles à la télé m’apostrophe :
« Qu’est-ce que vous faites là à attendre sur le trottoir? Qu’est-ce qui se passe ?»

Je vous le jure, il me lance ça comme si, événement peu probable s’il en est un, il ignorait que c’était jour de fête, le toujours très impressionnant anniversaire de DDC. Je n’ai pas pris la peine de lui annoncer que l’homme avait marché sur la lune ou encore que les infrastructures montréalaises ne tenaient qu’à un fil. Après tout, il paraît que les ignorants sont bénis.

Toujours est-il que la centaines de patientes sardines dont les dernières en file ont dû attendre plus d’une heure pour mettre la main sur un premier verre ont été récompensées par une sélection de bières plus délirante que jamais.

La plus populaire première offrande était probablement la Zwanze, rarissime lambic de Cantillon commercialisé sous une recette différente une fois l’an. La version 2011 s’appuie sur le Pinot d’Aunis, un obscur cépage dont presque personne n’a entendu parler et qui conférait à la bière des notes aigrelettes de griotte et de canneberge et un houblonnage à froid de Bramling Cross, un tout aussi obscur cultivar dont presque personne n’a entendu parlé en dehors de l’Angleterre. Ironiquement, certains Anglais lui reproche son caractère américain. À la base toutefois, le magnifique assemblage de Cantillon dégageait de rafraîchissants effluves citronnés agrémentées des notes lactiques, de cuir et chevaline de ses levures sauvages et flore bactérienne idiosyncrasiques. Le résultat était un lambic plutôt poli pour la maison, d’une belle élégance grâce à ses tannins souples et à son acidité équilibrée. Captivant et accessible.





La Hill Farmstead Abner était l’autre invitée d’honneur. Cette Imperial IPA dont nous avons déjà discuté sur ce blogue explose d’arômes houblonnés et résineux d’une fraîcheur inouïe. Il faut la sentir pour y croire. C’est d’une verdure telle qu’on cherche les cocottes de houblon dans notre verre.

Du côté des bières-maison, Dieu du Ciel ! offrait encore un éventail de bières vieillies en bouteille en plus des deux douzaines d’offrandes en fût. L’introuvable Péché Mortel vieillie en fût de bourbon américain était du lot non seulement en fût, mais aussi en cask. Du jamais vu ! Il nous a semblé qu’elle était plus portée vers l’alcool et le café qu’à ses dernières apparitions, modifiant quelque peu son appartenance au monde des bières-dessert, mais le bourbon restait intégré avec retenue.

L’étonnante Équinoxe d’Automne 2010 avait bien vieilli, affichant bien peu de traces d’oxydation et donnant toujours aussi faim grâce à ses puissants arômes fumés.

Face à un tel menu, il est toujours difficile de faire un mauvais choix. Règle générale, une bonne attitude à avoir est de cibler une ou deux bière(s) que nous tenons à essayer absolument et de chérir ces moments, mais de se laisser porter par les gens par la suite. En effet, il est impossible de faire le tour du menu de telles soirées. En revanche, puisqu’elles attirent quantité d’amateurs passionnés, elles représentent toujours une belle opportunité pour renouer avec de vieilles connaissances. Et c’est aussi et peut-être même surtout ça qui fait le charme de la bière artisanale. Une belle concentration de produits de qualité attire une belle concentration de gens de qualité. Au-delà de la bière pour laquelle sa réputation n’est plus à faire, l’anniversaire de Dieu du Ciel! continuera vraisemblablement à être le théâtre de belles découvertes humaines pour plusieurs années à en juger par la foule grandissante

16 sept. 2011

La Saison Voatsiperifery, du Brouhaha, à Montréal




La multitude de festivals de bières ces derniers temps nous ont fait tomber en amour plusieurs fois; avec de vieilles conquêtes que l'on revoyait pour l'occasion, mais aussi avec de nombreuses nouvelles flammes. C'est pourquoi vous pouvez vous attendre à quelques fiches "grand cru" toutes fraîches dans les prochaines semaines, toujours suivant la formule du 3e chapitre de La Route des Grands Crus de la Bière. Après une désaltérante vérification dans un environnement plus sobre qu'un festival, nous sommes maintenant certains de notre coup; nous aimerions louanger cette nouvelle Saison du Brouhaha!

Style : Saison, aromatisée au poivre Voatsiperifery de Madagascar. La Saison wallonne était initialement conçue pour abreuver les travailleurs des champs ; ce devait donc être une bière désaltérante. Aujourd’hui, le style a évolué et avoisine plus habituellement les 6% d’alcool, comme celle-ci d’ailleurs. L'ajout harmonieux du poivre n'est point traditionnel. C'est un bel exemple de la créativité du maitre-brasseur, Marc Bélanger.

Disponibilité : Le premier brassin embouteillé apparaîtra sur les tablettes des dépanneurs spécialisés en début octobre! Sinon, vous pouvez la trouver au fût de temps à autre au Brouhaha même.

Le coup d’œil : Une tuile de mousse s'établit sur la blancheur aux reflets dorés.

Le parfum : Un bouquet explosif met en valeur toutes les facettes de ce fascinant poivre Voatsiperifery. On s'imagine des agrumes, des fleurs et des herbes vertes poussant à travers les grains de poivre, titillant les voies olfactives et ce, jusqu'au fond du verre. Un parfum qui ne s'estompe pas!

En bouche : L'effervescence piquante soulève les céréales délicates qui, en tandem avec la levure, construisent des notes de pain frais. On remarque d'emblée que l'intensité du profil de saveurs est plus modéré que celui de l'arôme. Ce qui est très apprécié puisqu'on a davantage le goût de prendre de grandes gorgées! Le poivre est plus poli donc, s'immisçant dans les saveurs houblonnées avec diplomatie.

La finale : L'épicé du poivre s'allie à l'amertume herbacée des houblons pour une finale à l'image du profil de saveurs; rafraichissante et équilibrée. 

Accords : Salades vertes, poissons blancs, poulet, etc. Très versatile, cette Saison au poivre rehaussera plusieurs mets délicats tout comme elle saura se fondre dans un plat plus lourd et plus épicé. 

Pourquoi est-ce un grand cru? : En plus d'être créative et munie d'un profil de saveurs des plus harmonieux (les esters de levures produits, les houblons Saaz et les malts d'orge choisis semblent adorer le poivre de Magadascar), cette Saison nous fait profiter du meilleur de deux mondes: un arôme intense visant l'amateur de bières racées du Nouveau Monde et un profil de saveurs plus sage, digne d'une bière de soif du vieux continent.

Si vous avez aimé, essayez aussi : Dieu du Ciel! Noce de Soie (Montréal), Trou du Diable Saison du Tracteur (Shawinigan), Hill Farmstead Vera Mae (Vermont).

13 sept. 2011

Les joyaux de la campagne franconienne - 1ère partie


Aucun autre endroit au monde ne possède un si grand nombre de brasseries sur un si petit territoire. Visiter la Franconie, région du nord de la Bavière, c’est comme un retour à une époque où le transport de vivres était laborieux, forçant la majorité des villages à se munir de leurs propres brasseries. Ici, on peut déambuler dans n’importe quelle direction et assurément croiser une brasserie artisanale à tous les 4-5 kilomètres, parfois moins! Pour vous donner une idée, dans cette région à peine plus large que la grande région métropolitaine de Montréal, on y retrouve… 300 brasseries ! Inutile de dire qu’il est impossible de tout couvrir ce territoire brassicole en quelques semaines, voire même quelques années. De plus, cette idée paraît de plus en plus folle lorsqu’on découvre des coups de cœur tels que ceux que nous vous présenterons au fil des prochains billets. Nous tombons souvent en amour en Franconie; la qualité moyenne des lagers brassées ici nous oblige à revisiter quelques brasseries encore et encore... puis à considérer l'émigration vers ces contrées.

Voici donc, pour commencer, nos coups de cœur parmi les brasseries franconiennes situées tout juste à l’est de Bamberg. On peut s’y rendre facilement à vélo de Bamberg, puis continuer à pied entre les villages tellement les distances sont courtes.

Brauerei Sauer, à Rossdorf am Forst

Des fleurs rouges partout aux fenêtres, des tracteurs occasionnels, quelques émanations terreuses des champs environnants; tel est le paysage sensoriel qui se dégage de Rossdorf am Forst la plupart des après-midis d’été, assis au biergarten de la brasserie de la famille Sauer. En plus d’être un des plus beaux villages de la région, on se retrouve ici peut-être à une des meilleures brasseries de Franconie. La Urbräu, appelée Lagerbier lorsque servie par gazéification naturelle en fût, est d’une douceur remarquable, étalant des céréales légèrement toastées sur des houblons herbacés, boisées, le tout dans un corps moelleux tel un oreiller de plume. Et la Pils en bouteille est toute aussi désarmante… La famille possède aussi un keller à quelques mètres de là où l’on sert la Lagerbier d’un baril de bois, lorsque la température le permet. À l’écart de la route, entouré de verdure et de granges, attablés sous les marronniers, on prend rapidement le goût de converser avec les quelques vaches curieuses du voisin.



Brauerei Griess et Brauerei Krug, à Geisfeld

Le village voisin de Rossdorf am Forst, du nom de Geisfeld, est habité par au moins 400 personnes de plus. Vous aurez rapidement compris que cela justifie amplement la présence de deux brasseries artisanales dans le village plutôt qu’une… Côté bière, la Kellerbier de Brauerei Griess supplante la Lagerbier de Brauerei Krug si vous êtes du genre à être séduit par de saisissants houblons poivrés, herbacés et bien amers agencés à une personnalité rustique développée par la levure et les céréales. Si vous cherchez une bière moins amère et moins racée, mais toute aussi rafraichissante et sympathique, la Lagerbier de Krug sera parfaite pour accompagner des tranches de bœuf séché (Zwetschgen Baamers), une spécialité de la brasserie. La terrasse surélevée de Krug est d’ailleurs très conviviale; presqu’autant que le keller de Griess, un peu à l’écart du village, où nous pouvons boire, comme à Rossdorf am Forst, la bière phare de la maison soutirée à même le baril de bois. Les vaches de Geisfeld ont cependant tendance à être moins jasantes ici, mais les effluves de purin, en saison, vous rappelleront où vous êtes…



Brauerei Knoblach, à Schammelsdorf

Schammelsdorf est un autre de ces villages avec quelques maisons, quelques granges, une minuscule église et, vous l’aurez deviné, une brasserie artisanale. Situé en plein centre de la bourgade, là où la route devient sinueuse pour au moins 50 mètres, la Brauerei Knoblach se transforme en centre communautaire dès son ouverture. Des mères avec leurs enfants s’y attablent tôt pour avoir des places près des jeux, des vieillards y accourent (avec leurs marchettes, tout de même) chopes personnalisées en main, et tout villageois en quête de repos et de sustentation se trouve une place soit dans le salon vieillot, soit sous les marronniers afin de regarder le village… dormir. La Dunkel de la maison est splendide, pleine de notes toastées et légèrement rôties dans un corps svelte, autant que la Ungespundetes Lagerbier, une lager blonde doucement gazéifiée, épicée de houblons verts langoureux. Le désir d’y rester pour la journée devient insupportable. Quelle dilemme...


Si vous disposez de plusieurs jours dans ce secteur, sachez que dans un rayon de 10 kilomètres autour de ce noyau de brasseries exceptionnelles, vous pourriez aussi visiter la Brauerei Hoh à Köttensdorf et son succulent poulet laqué au poivre noir. Puis, le salon de la Brauerei Barth-Senger à Schesslitz et ses 4(!) tables, à quelques mètres de la Brauerei Drei Kronen, aussi à Schesslitz, et ses 8 ou 9 tables de plus. Aussi tout près, il y a la Brauerei Hölzlein à Lohndorf et son atmosphère familiale incomparable, puis la Brauerei Hönig à Tiefenellern et sa captivante Posthörnla délicatement fumée et miellée. Gardez l’œil ouvert sur la route pour de petits terreaux creusés dans des buttes, de véritables vestiges d’autrefois lorsqu’on entreposait la bière sous le sol afin de la garder au frais l’été. Oh, et que dire des deux brasseries de Memmelsdorf, toujours dans le même rayon de 10 kilomètres: la Brauerei Drei Kronen (une autre, oui) et la Brauerei Höhn, à quelques pas l’une de l’autre. Puis il y a les deux brasseries de Merkendorf, à côté de Memmelsdorf, Brauerei Wagner et Brauerei Hümmel, cette dernière brassant une variété impressionnante de styles, dont une Rauchdoppelbock. Tout ça, nous désirons le répéter, dans un rayon de 10 kilomètres à l’est de Bamberg. Paradisiaque, vous dites ?

La semaine prochaine, pour faire changement, on se dirige vers le sud-ouest (pourquoi pas?) de Bamberg afin de visiter certaines des meilleures brasseries de ce coin de la Franconie.  

8 sept. 2011

Bamberg, un trésor brassicole (2e partie)


Bamberg foisonne d'établissements brassicoles enivrants. Il faut y passer des semaines afin de pouvoir tout essayer - et souvent, réessayer - convenablement. Seuls de vrais bourreaux de travail réussissent l'exploit...


Après vous avoir fait part de nos coups de coeur dans le premier billet sur cette ville protégée par le patrimoine mondial de l'UNESCO, voici donc une deuxième série de recommandations qui, nous l'espérons, vous guideront à travers cette panoplie désarmante de bars, restaurants, brasseries, biergartens et kellers qui servent tous des bières au haut potentiel gustatif.

Wilde Rose Keller, au 49, Oberer Stephansberg


Du haut de la Stephansberg, une des sept collines de Bamberg, le plus gros des kellers amuse jeunes et moins jeunes depuis belle lurette. Avec ces quelques centaines de tables, ses grands arbres, son parc pour enfants et ses bières-maison brassées à contrat par Keesmann (ou Maisel, c'est un secret de polichinelle), impossible de ne pas se laisser charmer par la vitalité de l’endroit le temps d’une chope. Comme dans tous les kellers, il faut aller chercher sa bière et sa nourriture soi-même aux kiosques près de l’entrée du site. Malgré les dimensions impressionnantes du terrain, on quitte quand même avec une bonne idée de ce qu’un keller franconien peut offrir comme expérience.

Klosterbräu, au 1-3, Obere Mühlbrücke


La plus vieille brasserie de Bamberg en opération continue mise sur l’attrait de ses origines. La façade de ses deux bâtiments semble sortir tout droit du 16e siècle (en plus propre, on s’entend) et les salles du restaurant donnent l’impression que vous vous attablez dans la salle à manger d'anciens brasseurs de l’entreprise avec son vieux poêle et ses multiples photos de famille d’une époque qui connaissait à peine la caméra. Les bières-maison sont souvent intéressantes (la Schwarzbier, particulièrement) sans toutefois faire référence aux profils gustatifs présents dans plusieurs brasseries de la campagne environnante.

Café Abseits, au 39, Pödeldorfer Strasse


En sortant de la gare, il faut marcher en direction inverse de la vieille ville ; peu de gens auraient cette idée. Situé dans un quartier résidentiel comme plusieurs en Bavière, ce restaurant et bar à bières se démarque facilement une fois ses menus explorés. C’est qu’ici, plus que partout ailleurs en Franconie, vous trouverez une sélection ahurissante de bières campagnardes et bavaroises, en fût mais surtout en bouteille. Puisqu’il est coutume pour un bar en Allemagne de servir les bières d’une seule brasserie, un endroit comme le Café Abseits semble descendu tout droit du ciel pour un amateur de bière en quête de variété. L’ambiance y est anodine, mais si vous voulez un survol rapide des bières de la Franconie, en plus de valeurs sûres telles que Schneider, Kulmbacher et Andechs, ce café partagera avec vous ces saveurs si distinctes.


Sans être des coups de cœur, les endroits suivants à Bamberg méritent aussi d’être visités, le temps d’une pinte, bien évidemment :



Spezial Keller: La vue sur Bamberg en compagnie d’un bock de Rauchbier Lager est difficile à battre.

Keesmann BräuLa soupe aux asperges blanches est délirante en saison et la Herren Pils presque tout autant.

Mahr’s Bräu: En face de Keesmann, voici une des brasseries les plus authentiques à Bamberg. À 4pm, on y perce un cask de leur Ungespundetes (Ü, pour les intimes).

Blaue GlockeSympathique petit resto offrant une bière de la campagne. L’été dernier, c’était la sublime Griess Kellerbier. La cour intérieure en température clémente est presqu’aussi agréable…

Brauerei Fässla: Directement en face de Brauerei Spezial. Une autre brasserie de Bamberg qui conçoit des lagers bien élégantes dans lesquelles le caractère franconien est imperceptible. La Lagerbier y est particulièrement satisfaisante, peu importe dans quelle pièce on s’installe.


La semaine prochaine, on s’établit dans la campagne franconienne. On y côtoiera des poules, des tracteurs d'époque, des caves à bières creusées le long des routes et, surtout, une panoplie de lagers rustiques provenant de (tenez vous bien) près de 300 petites brasseries !

La brasserie de la famille Sauer, à Rossdorf am Forst

6 sept. 2011

La Petite Côte, de La Succursale, à Montréal


Le tout nouveau brouepub La Succursale n’a que quelques mois d’existence et déjà il impressionne. Le brasseur lui, Jean-Philippe Lalonde, a aiguisé son fourquet dans diverses brasseries de par la province avant de se lancer corps et âme dans ce projet. Ce qu’il concocte maintenant à sa brasserie du Vieux Rosemont est souvent impeccable. Il faut d’ailleurs une rigueur et un savoir-faire exemplaires afin de rendre justice à une bière toute fragile comme La Petite Côte. Encore un grand cru québécois!

Style : Kölsch. Plus précisément, c’est une bière blonde endémique à la ville de Cologne, en Allemagne, qui est conçue de malts Pilseners, parfois d’une touche de blé, et houblonnée de variétés nobles telles que le Hallertau, le Tettnang ou le Spalt Select. C’est une bière qui fermente à température haute (comme les ales anglaises, par exemple) mais qui se conditionne à température basse (comme les lagers), faisant d’elle une bière dite hybride. Bien exécutée, la Kölsch est le mariage parfait de l’élégance et du rafraichissement.

Disponibilité : Elle est toujours au menu ! Impossible de la manquer donc lors d’une visite à La Succursale. Vous pouvez d’ailleurs la déguster dans de petits verres de 200ml, tel que le dicte la tradition de Cologne, ou en pinte, ce qui est plus commun en Amérique. Inutile de dire qu’un petit verre ne suffit pas à satisfaire notre soif d’une bonne Kölsch comme celle-ci. Par contre, son contenu n’a jamais le temps de trop se réchauffer exagérément puisqu’on peut le vider assez rapidement. C’est l’avantage de commander en petits verres…

Le coup d’œil : Une tuile de mousse recouvre la robe dorée limpide.

Le parfum : Les céréales sont proéminentes. Si vous ne savez pas ce que le malt Pilsener peut offrir comme arôme, cette bière vous en donnera un exemple raffiné. On imagine de belles céréales croquantes enduites d’un soupçon de miel.

En bouche : Bien que le fruité de la levure soit plus discret dans La Petite Côte que dans certains exemples Kölsch de Cologne, on ne se lasse pas moins des superbes notes de malt d’orge, parfaitement définies. De petites bulles picotent la langue, rapidement recouvertes de légers sucres résiduels approchant le miel. Des houblons herbacés et légèrement boisés apparaissent à l’horizon gustatif, équilibrant presque l’apport des malts.

La finale : Les houblons nobles chatouillent les céréales qui elles entonnent de nouveau leur douce sérénade. L’amertume est des plus délicates. Nous ne sommes pas en présence d’une bière arrache-palais, mais plutôt d’une bière de soif hautement définie.


Accords : À Cologne, la Kölsch accompagne tout, même les plats les plus riches (saucisses, pièce de viandes en sauce, etc.). Elle est facile à boire et relativement sèche, donc elle sert à désaltérer tout en adjoignant de subtiles saveurs de céréales et de houblons herbacés à ce que l’on mange. À La Succursale, La Petite Côte ira à merveille avec le pot Mason de choucroute à la bière, épicé de quelques bouts de saucisses pleines de caractère.

Pourquoi est-ce un grand cru? : Un style si délicat ne laisse aucune place à l’erreur. Le maitre-brasseur met ses habiletés à nu. C’est peut-être pourquoi si peu de brasseurs chez nous essaient ce style… Qu’à cela ne tienne, La Petite Côte ne rate aucun de ses objectifs, en plus de posséder une petite touche personnelle que les exemples authentiques n’ont pas (son malt d’orge canadien se démarque des exemples allemands).

Si vous avez aimé, essayez aussi : Dieu du Ciel! Basse Messe (Montréal), Trou du Diable La Pitoune (Shawinigan), The Cambridge House Copper Hill Kölsch (Connecticut).


PS. Si vous désirez lire davantage sur les Kölsch, voici nos deux articles (1 et 2) sur Cologne, écrits dans le cadre de notre guide de voyage brassicole sur l'Allemagne.